Peut-on débattre en toute quiétude, sans être continuellement interrompu ? Il s’agit là d’une base souhaitée par Antinéa Lestien lorsqu’elle anime un atelier de sensibilisation au sexisme.
Au cours de novembre, la membre-fondatrice du collectif d’éducation populaire féministe rÉGALons-nous en a animé six, au sein des lycées Mongrand, Moulin, et au CFA Rol-Tanguy, une initiative organisée par l’association port de boucaine « Vie au féminin ».
Mardi 29 novembre, c’est au sein de ce dernier qu’elle a rencontré neuf élèves, cinq filles et quatre garçons scolarisé.e.s en deuxième année de CAP (Certificat d'aptitude professionnelle) pâtisserie et coiffure.
Le temps d’échanges débute par la définition de ce qu’est un débat, puis la construction d’un cadre. « Un débat est un partage de points de vue », définit Antinéa Lestien. « Ça ne veut pas dire qu’il faut être d’accord à la fin. » Un marqueur en guise de totem donne la parole à celui ou celle à qui l’animatrice le donne.
Les pistes de débats
L’enjeu est que les deux heures passées avec les jeunes soient interactives. Pour lancer la conversation, cette dernière divise la salle en deux parties, l’une dédiée à ceux « d’accord » avec les phrases qu’elle s’apprête à prononcer, l’autre pour ceux qui ne le sont pas. Les élèves ont ensuite pour mission de justifier leur position, ils peuvent cependant changer d’avis au cours de la discussion s’ils ont été convaincus par des arguments. « Les garçons et les filles sont pareil.le.s » ; « Les garçons sont moins sensibles que les filles » ; « Les filles ont besoin d’être protégées quand elles sortent » ; « La drague est du harcèlement sexuelle » ; « Qui drague ? » est une liste non exhaustive de sujets auxquels Antinéa Lestien a soumis les élèves du CFA. « Le dispositif du débat mouvant permet de tou.te.s les entendre », apprécie-t-elle.
« Les filles ont besoin d’être protégées quand elles sortent » ?
Prenons la troisième phrase : « Les filles ont besoin d’être protégées quand elles sortent ». Trois élèves se disent « d’accords ». Chez celles et ceux qui ne le sont pas, un garçon s’étonne de la question. « Elles marchent dans la rue et voilà. C’est bizarre comme phrase », dit-il, sans parvenir à argumenter. Une camarade parmi les « pas d’accord » nuance. « Ça dépend », estime-t-elle. « Ce n’est pas toujours tout beau, tout rose. On ne va pas se le cacher, quand une fille marche seule dans la rue, des hommes vont la regarder et vont la juger. On va regarder ses fesses, sa poitrine et si elle est accompagnée ou pas. Un mec qui fait de même, hormis des filles qui diront peut-être : « Il est beau », n’aura rien à craindre. »
L’échange se poursuit et la position du premier garçon est ébranlée, il se positionne finalement sur la ligne, entre les deux positions. « En soit, elles ne devraient pas se cacher », reprend-il. « Pourquoi les garçons n’auraient pas à se priver et pourraient sortir comme ils veulent tandis qu’elles, non ? En même temps, je me dis qu’avec les fous qu’elles peuvent croiser… je ne sais pas, je suis mitigé entre : elles devraient faire attention ; et, elles devraient ignorer cela. »
Qu’est-ce que le harcèlement de rue ?
La fondatrice du collectif alimente le débat : « De quoi les filles ont peur quand elles sortent ? » La première raison évoquée par plusieurs élèves est le viol. « C’est souvent ce que l’on pense. Or, statistiquement, ce n’est pas là que se passent les agressions sexuelles », explique Antinéa Lestien. « Statistiquement, les victimes connaissent leur agresseur : ça peut être quelqu’un de la famille, le copain, un ex petit copain ou conjoint. » Et de développer : « On a cet imaginaire véhiculé par films et médias que c’est dans la rue, par un inconnu que ça arrive. Bien sûr que ça arrive mais ce n’est pas le plus fréquent. En revanche, on a intériorisé cette idée. » Dans ce cas, que risquent les filles quand elles sortent ? « Elles subissent des regards insistants, des commentaires sur leur tenue, des sifflements, des insultes. Tout cela est ce que l’on appelle le harcèlement de rue », poursuit-elle.
Sous les yeux de quatre de leurs enseignants et de Martine Gallina, élue à la formation et membre de Vie au féminin, les élèves ont poursuivi une conversation longue de deux heures, dans le respect, sans s’interrompre. Référente de la classe de CAP coiffure, Vanessa Cantini qualifie ce moment « d’important », espérant qu’il « aura un impact » parce qu’il « les amènera à en discuter avec des gens extérieurs ensuite ». Martine Gallina complète. « Pour lutter contre le sexisme, il faut de la prévention et de l’éducation », pense-t-elle. « Cet atelier est une démarche tellement importante pour les jeunes… il nous faudra aussi la mener dès le collège. »